Historique du projet

Depuis les années 1970, le gouvernement du Québec a procédé à l’acquisition successive de nombreuses terres humides le long de la rivière des Outaouais, entre Gatineau et Thurso. Ces achats de terrains, réalisés à la fois dans un objectif de conservation et de mise en valeur de la faune, ont pu se concrétiser grâce à un partenariat financier entre le ministère responsable de la faune et des organismes comme Canards Illimités et la Fondation de la faune du Québec. Parmi les grands secteurs visés, les complexes de la baie McLaurin, de la baie Clément et de la baie Lochaber figuraient parmi les principaux sites reconnus pour leur valeur écologique méritant une protection supplémentaire.

L’un des buts des acquisitions était d’y accroître les populations de sauvagine. Dans cette optique, Canards Illimités a aménagé plusieurs marais, vers la fin des années 1970, pour en augmenter le potentiel pour les canards (endiguement, îlots de nidification, etc.). Ce fut le cas notamment pour le marais aux Grenouillettes (en 1977, 57 hectares), le marais aux Massettes (en 1977, 101 hectares) et le marais des Laîches (en 1980, 105 hectares). Les digues retenant ces trois marais ont été restaurées en 2015 (Massettes) et en 2021 (des Laîches et Grenouillettes).

Dans la foulée de ces acquisitions et de ces aménagements, un projet de création d’un refuge faunique a vu le jour durant les années 1990 et s’est précisé au fil des années. Sept chemins publics et des stationnements donnant accès à plusieurs milieux humides ont été aménagés en 2002. L’acquisition, en 2011 et en 2013, de deux grands blocs totalisant 875 hectares sur la baie Lochaber a permis de consolider le noyau de terres publiques longeant l’Outaouais et ainsi de relancer le projet de refuge faunique.

Le territoire visé par le projet de refuge faunique comprend aujourd’hui près de 2 800 hectares de terres humides (28 km2) en  bordure de la Rivière des Outaouais, ce qui en fera le plus grand refuge faunique au Québec. Ce sera aussi le seul au Québec où la conservation des habitats cohabitera avec la mise en valeur récréo-éducative du territoire, notamment avec des activités de prélèvement de la faune.

La justification d’un statut de refuge faunique s’explique par la qualité exceptionnelle des habitats et la richesse faunique inestimable que renferme ce secteur au niveau provincial, mais aussi par sa proximité avec les noyaux urbains de l’Outaouais, avec les pressions de développement qui les accompagnent. L’attribution du statut de refuge faunique à ce territoire permettra de disposer d’un outil réglementaire additionnel permettant d’assurer à long terme la conservation des habitats et l’encadrement d’activités récréatives respectueuses de ce milieu exceptionnel.

Hydrographie

Au cours de la dernière glaciation, il y a environ 10 000 ans, le retrait des glaciers et la présence de la mer de Champlain ont moulé la zone d’étude, formant ainsi la plaine alluviale de l’Outaouais, une sous-unité des basses-terres du Saint-Laurent. Puisque les lieux présentent un relief peu accidenté, l’écoulement des eaux est ralenti par la faible dénivellation et les dépôts meubles. Ces facteurs sont principalement responsables de la formation de plusieurs marécages qui jalonnent les berges de la rivière des Outaouais.

Sur le territoire, le niveau des eaux est sous l’emprise de la centrale hydroélectrique de Carillon, construite en 1963 et située en aval du refuge faunique. Sa présence minimise l’effet de débordement de la plaine alluviale en amont au cours des crues printanières ou lors de précipitations abondantes. L’implantation de cette structure de contrôle a contribué à façonner le relief et le paysage naturel du milieu en plus de modifier l’équilibre au sein des communautés existantes. Cet équilibre a aussi été modifié par l’endiguement de certains marais (des Laîches, aux Grenouillettes, aux Massettes), ce qui en a fait des marais perchés.

Le bassin de la rivière des Outaouais est alimenté par trois tributaires importants dans la zone d’influence du refuge, soit, d’ouest en est, les rivières Blanche (Gatineau), du Lièvre et Blanche (Lochaber-Partie Ouest). Deux petits cours d’eau, la Petite rivière Blanche et le ruisseau Pagé, traversent aussi le territoire. Deux agences de bassin versant s’intéressent à ces cours d’eau, soit l’ABV des 7 (de la baie McLaurin au marais des Laîches) et le COBALI (du marais aux Grenouillettes au marais aux Massettes).

Flore

Les zones humides et les milieux forestiers caractérisent le secteur du refuge faunique, quoiqu’on trouve des terres agricoles et des zones urbanisées sur le territoire. Les peuplements forestiers, de petite taille et très fragmentés, appartiennent au domaine de l’érablière à caryer et à tilleul. Celle-ci présente une végétation arborescente à feuilles caduques riche et typique du climat continental humide du sud de la province. Les principales essences retrouvées sont essentiellement feuillues (érable, bouleau, frêne, chêne, hêtre, noyer, saule, orme, cerisier, peuplier, etc.).

La présence de l’érablière argentée rehausse l’importance de la végétation, considérant que ces peuplements sont de plus en plus rares au Québec. Par ailleurs, on trouve aussi l’orme liège, espèce en situation précaire au Québec, ainsi que certains groupements résineux (thuya, épinette blanche, pin, sapin, pruche).

Dans la zone à l’étude, les terres humides représentent l’habitat le plus caractéristique. Les principales associations végétales retrouvées dans ces milieux sont des herbiers à plantes émergentes (quenouille, sagittaire, hydrocharide, brasénie, nénuphar, nymphée, zizanie, pontédérie, rubanier) ainsi que des herbiers à plantes submergées (myriophylle, élodée, vallisnérie, potamot). Certains milieux humides, comme le marais aux Massettes, sont colonisés par des arbustes tels que le céphalante et l’aulne.

Faune

Poissons

La rivière des Outaouais présente une faune ichtyenne très diversifiée et très abondante. Les berges sont parsemées de marais et de baies peu profondes nécessaires à la reproduction et à l’alimentation des poissons et où prédomine la végétation aquatique. Ces habitats variés et la communication du bief de la rivière des Outaouais avec les Grands Lacs sont possiblement responsables de cette biodiversité. Sur l’ensemble du territoire contigu à ce cours d’eau, entre Rapides-des-Joachims et le barrage de Carillon, on dénombre 75 espèces de poissons. Plus de la moitié de ces espèces a été recensée dans le secteur du refuge faunique. On trouve notamment le maskinongé, le crapet-soleil, la marigane noire, la barbotte brune, la perchaude le doré jaune, le doré noir, l’achigan à petite bouche, l’achigan à grande bouche, le grand brochet et l’esturgeon jaune. Ce sont aussi les principales espèces de poissons convoitées par les pêcheurs sportifs et par l’exploitation commerciale.

Les plaines d’inondation essentielles à la fraye, l’alevinage et l’alimentation de nombreuses espèces de poissons sont presque inexistantes puisque le mode d’opération du barrage de Carillon régularise la crue printanière. Malgré cela, on y retrouve une trentaine de frayères importantes pour la faune ichtyenne. On trouve aussi dans le secteur à l’étude quatre espèces susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables au Québec : l’esturgeon jaune, l’anguille d’Amérique, le crapet à longues oreilles et la barbotte jaune.

Amphibiens et reptiles

Les milieux humides de la rivière des Outaouais abritent une herpétofaune parmi les plus variées et abondantes de tout le sud de la province. Parmi les 35 espèces d’amphibiens et de reptiles présentes au Québec, 15 espèces ont été recensées le long des berges de la rivière des Outaouais dans le secteur du refuge faunique ou en périphérie de celui-ci. En outre, les terres humides qu’il renferme sont susceptibles d’abriter d’autres espèces d’amphibiens et de reptiles étant donné la difficulté d’observation et de capture de ces animaux. Signalons la présence de la couleuvre d’eau, la tortue-molle à épines et la tortue musquée, espèces en situation précaire au Québec. Il est intéressant de noter que le secteur du refuge faunique a fourni la première mention de la tortue musquée au Québec.

© Serge Rivard

Oiseaux

L’avifaune représente l’une des raisons d’être du projet de refuge faunique parce qu’elle recèle une grande diversité de taxons et une richesse impressionnante d’espèces associées aux milieux humides. Au total, on y recense 234 espèces réparties en deux groupes distincts selon leur nature : 103 espèces nicheuses et 131 espèces migratrices ou visiteuses. Plus des trois quarts de toutes ces espèces se retrouvent dans le tronçon Gatineau-Thurso.

La végétation aquatique très dense de ce secteur offre un couvert de nidification de qualité et un refuge protecteur important pour l’élevage des couvées pour la bernache du Canada et les canards migrateurs. Ces espèces se regroupent durant les migrations sur certains plans d’eau désignés comme des aires de concentration d’oiseaux aquatiques, lesquelles couvrent la plus grande partie des milieux humides du projet de refuge faunique.

Parmi l’ensemble des oiseaux de milieux humides recensés dans la zone à l’étude, la présence du petit blongios suscite le plus grand intérêt des amateurs d’observation de la faune. Durant la période estivale, le bassin de la rivière des Outaouais sert également d’aire de repos et d’alimentation pour plusieurs espèces comme le balbuzard pêcheur et le pygargue à tête blanche. Bien que rares dans l’est du Québec, la guifette noire, le moucherolle des saules, le râle de Virginie et le grèbe à bec bigarré sont particulièrement abondants dans le secteur.

© Serge Rivard

Mammifères

Les berges de la rivière des Outaouais abritent 33 espèces de mammifères. Il s’agit surtout d’espèces de type terrestre comme le campagnol des champs, le porc-épic, le lapin à queue blanche et le raton laveur.  D’autres espèces aquatiques et semi-aquatiques habitent cependant les zones marécageuses et les eaux calmes de la rivière comme le vison, le castor, la loutre et le rat musqué.  Celui-ci est particulièrement abondant dans le territoire à l’étude puisqu’on y dénombre plusieurs milliers de huttes.

© Serge Rivard